Justice

SYLVIA ET NOUREDDIN JUGÉS PAR CONTUMACE À LIBREVILLE

SYLVIA ET NOUREDDIN JUGÉS PAR CONTUMACE À LIBREVILLE

L'ère post-coup d'État au Gabon a pris une nouvelle dimension politique et judiciaire ce lundi 10 novembre 2025. À Libreville, s'est ouvert le procès le plus emblématique de la transition, celui de l'ancien régime, symbolisé par Sylvia Bongo Ondimba, l'ex-Première Dame, et son fils aîné, Noureddin Bongo Valentin. Bien qu'absents — ayant quitté le pays en mai après 20 mois de détention — la mère et le fils de l'ancien président déchu Ali Bongo, ainsi qu’une douzaine de leurs anciens proches collaborateurs, sont jugés devant une cour criminelle spéciale. Ce procès, loin d'être un simple règlement de comptes, est la matérialisation de l'engagement des nouvelles autorités à rompre avec la "Françafrique" des gabegies et à satisfaire l'exigence de justice populaire qui a suivi le coup d'État du 30 août 2023. Il s'agit, pour le nouveau régime, de mettre en scène la fin d’une époque.

La « Young Team » au Cœur des Accusations de Corruption

Sur le banc des accusés se trouvent treize personnes, dont l'épouse et le fils de l'ex-chef de l'État. Ce groupe de cadres influents était surnommé la « Young Team », accusé d'avoir, au crépuscule de la présidence d'Ali Bongo, « accaparé les leviers et les ressources du palais présidentiel ». Les chefs d'inculpation sont lourds et multiples, couvrant pas moins de douze griefs distincts. Parmi les plus graves figurent le « détournement de deniers publics », le « blanchiment de capitaux », la « corruption active », mais aussi des charges plus politiques comme la « contrefaçon des sceaux de la République » et l'« usurpation de titres et de fonction ».

Ces accusations brossent le tableau d’une gestion prédatrice et illégale des affaires de l'État, un système où la frontière entre les finances publiques et le patrimoine familial de la famille régnante se serait totalement estompée. Ce déballage judiciaire, qui devrait s'étendre sur toute la semaine, promet d'éclairer les mécanismes occultes du pouvoir gabonais déchu, avec l'audition attendue de témoins clés comme Brice Laccruche Alihanga, ancien directeur de cabinet incarcéré pendant quatre ans sous le règne de la Young Team.

Le Procès par Contumace : une Guerre de Communication Politique

L'absence de Sylvia et Noureddin Bongo, qui encourent pourtant la réclusion à perpétuité, transforme la procédure en un procès par contumace, soulignant la dimension éminemment politique du dossier. Réfugiés dans leur hôtel particulier de Londres, les Bongo ont adopté une stratégie offensive depuis leur libération en mai. Ils dénoncent un « procès spectacle » et une « procédure politique téléguidée » par le président de la transition, le général Brice Clothaire Oligui Nguema. Ils ont multiplié les actions pour discréditer le processus judiciaire gabonais, notamment en distillant des vidéos tournées clandestinement et en portant plainte en France pour « détention arbitraire » et « torture » concernant leurs vingt mois passés en prison. Noureddin Bongo a d'ailleurs récemment déclaré dans la presse française n'avoir « jamais détourné d’argent », campant sur une ligne de dénégation totale.

En face, le procureur Eddy Minang a rétorqué que « la justice va dorénavant s’exprimer avec rigueur, sans préjugés et sans qu’il n'y ait de passe-droits », cherchant à légitimer la procédure face aux accusations de procès politique et à satisfaire l'attente populaire.

L'Enjeu du Recouvrement des Avoirs et l'Attente de la Société Civile

L'opinion publique et la société civile gabonaise suivent les débats avec une attente palpable. Si l'absence des principaux accusés est regrettée — Ghislain Ngui Nze, porte-parole du collectif Les citoyens indignés, estime qu'ils « doivent se rendre en République gabonaise pour répondre de leurs actes » —, la volonté de voir les coupables payer reste intacte. Georges Mpaga, président du Réseau des organisations libres pour la bonne gouvernance (ROLBG), partie civile, déplore de devoir juger par contumace ceux qu'il qualifie de « criminels financiers qui ont détruit le pays ».

Cependant, il insiste sur la perspective internationale. En vertu de la Convention des Nations unies contre la corruption, les organisations s'appuient sur l'idée que les « compétences universelles permettent une coopération judiciaire internationale pour le rapatriement des avoirs, le produit de leurs crimes ». Au-delà des peines encourues, c'est donc l'enjeu du recouvrement des biens mal acquis et du rétablissement d'une gouvernance éthique qui domine ce procès. À travers ces audiences, le Gabon tente de tourner définitivement la page d'une dynastie politique entachée par des décennies d'allégations de corruption.


Grâce EBAKISSE,publié le 10 novembre 2025

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