Energie

Cameroun : Le Secteur Pétrolier au Bord de la Crise

Cameroun : Le Secteur Pétrolier au Bord de la Crise

Une crise "silencieuse" mais potentiellement dévastatrice couve au cœur du secteur pétrolier camerounais, menaçant la stabilité de l'approvisionnement en Super (essence) et en diesel sur l'ensemble du territoire. Le Groupement des professionnels du pétrole (GPP), qui rassemble les poids lourds de la distribution tels que TotalEnergies, Tradex, Neptunes Oil, Ola Energy, Gulfcam et Corlay Cameroun, a lancé un ultimatum ferme aux autorités de Yaoundé.

En cause : une répartition jugée inéquitable et dangereuse des quotas d’importation de carburant, qui marginalise les acteurs historiques au profit de nouveaux opérateurs dénoncés comme "opportunistes". Ce bras de fer, révélé par une correspondance adressée à la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH), met en lumière les tensions engendrées par la réforme de libéralisation et fait planer le spectre d’une pénurie, à l’approche de la période critique des fêtes de fin d'année et post-électorale.

La Disproportion des Quotas : 75% du Marché, 3% des Volumes

L'ampleur du déséquilibre est le point de friction principal et l'élément déclencheur de cet ultimatum. Le GPP, qui contrôle près de 75% du marché national et exploite un réseau dense de près de 600 stations-service, dénonce sa quasi-exclusion de l'activité d'approvisionnement.

Selon les chiffres avancés par le groupement présidé par Antoine Ndzengue, les membres ont été totalement écartés de l'importation d'essence Super au cours des cinq derniers mois de l'année 2025 et ne détiennent qu'une infime part de 3,62% des volumes de gasoil. "Ces données établissent de manière irréfutable la mise à l'écart des membres de notre Groupement," affirme la lettre. Une telle disproportion est jugée inacceptable, car elle contraint les distributeurs qui assurent la majeure partie de la demande nationale à s'approvisionner auprès de leurs concurrents, les importateurs non-membres. Ces derniers sont accusés de ralentir la chaîne de distribution et d'occuper durablement les infrastructures de stockage appartenant aux majors.

En réaction, le GPP menace de cesser d'acquérir des produits auprès de ces importateurs non-membres à compter du 1er novembre 2025. Cette décision, assimilée à un boycott, paralyserait la distribution nationale si elle était mise à exécution. Le GPP plaide désormais pour une distribution des quotas en adéquation avec leur poids économique réel : 75% des volumes pour le GPP et 25% pour le reste de la profession.

L'Effet Pervers de la Libéralisation de 2023

L’origine de cette tension trouve ses racines dans la libéralisation des importations des produits pétroliers, décidée en décembre 2023. Cette réforme était une réponse à la nécessité de sécuriser l'approvisionnement après l'incendie de la raffinerie nationale Sonara en 2019, qui a contraint l'État à importer 100% de sa consommation. La CSPH fut chargée d'attribuer les quotas aux opérateurs jugés "techniquement et financièrement aptes".

Si cette ouverture du marché était initialement saluée par les majors comme une source potentielle de transparence dans les négociations de primes avec les traders internationaux, son application a généré un effet pervers : la montée en puissance d'acteurs dont l'implantation locale est faible, au détriment des réseaux de distribution structurés. Les distributeurs historiques, qui détiennent le maillage territorial le plus dense, sont désormais dépendants d’acteurs "opportunistes" pour garantir la disponibilité du carburant à la pompe.

Le Fardeau Économique et le Dilemme des Subventions

Au-delà de la question des quotas, le fond du problème est l'équation économique complexe qui régit le secteur. Le marché national fonctionne sous un régime de prix administrés à la pompe, alors que les opérateurs achètent sur le marché mondial à des prix constamment fluctuants. Le différentiel, lorsque les cours mondiaux sont supérieurs au prix fixé par l’État, est compensé sous forme de subvention remboursée par le Trésor public.

Le GPP souligne qu'il a souvent été "en première ligne pour garantir la disponibilité des produits" lorsque les cours mondiaux induisaient des manques à gagner. Or, le retard de remboursement par l'État de ces subventions a souvent généré de substantielles pertes financières pour plusieurs de leurs entreprises. L'iniquité est double : ils subissent les retards de paiement de l’État et sont exclus d’une activité d’importation pourtant essentielle à la rentabilité de leurs réseaux.

Une Course Contre la Pénurie

Face à ce scénario de blocage et à la menace de rupture d’approvisionnement, le ministre de l'Eau et de l'Énergie aurait déjà saisi la direction générale de la CSPH pour qu'un compromis soit trouvé "rapidement".

L'enjeu est capital. La période actuelle est critique, marquée par la forte demande de fin d'année et un contexte politique post-électoral. Tout retard ou toute passivité dans le processus d'importation, comme l'a averti le GPP, pourrait dégénérer en pénurie de carburant. Derrière ce bras de fer technique et commercial, c'est la sécurité énergétique nationale qui est mise en jeu, un pilier essentiel à la stabilité économique du Cameroun. Sans une révision rapide et équitable de la politique de répartition des quotas, le marché pétrolier pourrait s’engager sur la voie de l’asphyxie.


Grâce EBAKISSE,publié le 7 novembre 2025

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